Achat de forêts : la demande explose, bulle spéculative ou marché d’avenir ?
Mars 2021, décryptage du marché français des forêts par Pierre Aussedat
Les effets du réchauffement climatique sont inquiétants et génèrent de réels problèmes en forêt. On peut notamment citer les forêts du quart Nord-Est de la France, particulièrement atteintes par des problèmes sanitaires qui menacent leur bon renouvellement : chalarose, scolytes, chenilles processionnaires, dépérissements massifs sur le hêtre et le sapin pectiné…
Dans le même temps, la forêt est identifiée pour ses opportunités évidentes : séquestration carbone, amélioration de la biodiversité, préservation de la ressource en eau et notion d’espace.
Résultat, l’investissement forestier séduit toujours plus ! La forêt constitue un actif rassurant dans ce contexte de crise sanitaire et ceci malgré l’impact du réchauffement climatique sur les peuplements. L’année 2020 a été soutenue pour la forêt : le volume d’affaires est supérieur à 2019. Le début d’année 2021 est marqué par une demande très forte et une offre faible.
Engouement pour la forêt : typologie des acquéreurs
Les particuliers sont convaincus que les marchés financiers sont artificiellement hauts et ils cherchent des solutions de placements alternatifs qui ont du sens. Les autres catégories d’actifs sont moins « glamour » : Bitcoin, CAC 40, hôtellerie, locatif en province… La forêt séduit naturellement !
Les professionnels de la filière ont besoin de sécuriser leurs approvisionnements pour leurs scieries, ils observent que les volumes mis sur le marché sont de plus en plus faibles.
Les institutionnels sont toujours plus nombreux à vouloir se positionner à l’achat. Tous les mois, nous découvrons un nouveau fonds qui nous sollicite pour investir en forêt.
Les entreprises, inexistantes sur le marché de la forêt jusqu’à présent, commencent à apparaître. Plutôt que d’acheter des contributions carbone à l’étranger, l’entreprise réfléchit à devenir propriétaire d’un massif pour en faire profiter ses collaborateurs. C’est déjà le cas pour le groupe FREY.
Des prix de vente à la hausse
Face à cette forte demande, les prix se renforcent : prenons l’exemple d’une forêt de 64 hectares en Meuse avec 4500 m3 de chêne et deux étangs. Les chênes évoluent sur de sols superficiels et sont de mauvaise qualité. Un des deux étangs est en mauvais état. Il y a un an et demi, cette propriété aurait été vendue à 600 000 € environ, vendue courant janvier 2021, le propriétaire a pu en tirer 850 000 € et ce n’est pas un cas isolé !
Le prix de la forêt augmente, c’est indéniable. Malgré tout, si nous faisons un tour d’Europe, voire du monde, le prix français demeure compétitif. Une plantation d’épicéa de Sitka en Ecosse se négocie couramment 15 000 € l’hectare. Il est également difficile de trouver un hectare à moins de 20 000€ en Allemagne. Les prix sont soutenus aux États-Unis. Les prix en Roumanie sont comparables aux prix français.
Des orientations de marché favorables
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Le marché du bois reste également soutenu malgré le Covid. Pour les résineux, la demande Nord-Américaine soutient le prix du douglas à un niveau élevé alors que les résineux blancs, épicéas et sapins pectinés souffrent de la crise des scolytes qui impacte sévèrement les prix. Nous ressentons cependant un début de frémissement, les transformateurs appréhendent déjà un trou de production majeur dans les années à venir. Un scieur nivernais nous indique que le volume de chênes vendu par l’ONF a diminué de plus de la moitié par rapport aux années 1980 et ce, dans un contexte où les marchés Nord-Américain et Chinois sont très demandeurs en bois. La majorité des transformateurs est convaincue que nous allons manquer de bois de qualité dans les prochaines années. Le premier confinement a eu lieu pendant la période des martelages, réduisant encore le volume de bois disponible.
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Les professionnels du résineux renforcent leurs marges.  Paradoxalement, la conjoncture est favorable. En effet, une partie importante des transformateurs résiste très bien à la crise et les scieurs de résineux ont renforcé leur marge de manière spectaculaire (prix de la matière très faible et augmentation du prix des sciages).
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Des potentiels nouveaux émergent également.
La forêt est déjà reconnue pour son potentiel d’agréments (promenades) et demain la forêt sera encore davantage reconnue pour ses vertus de captation du CO2, pour son travail de purification de l’eau, de maintien de la biodiversité, etc. Des outils concrets comme le label « bas carbone » émergent et deviennent une aide précieuse pour l’entretien et la rentabilité des forêts.
S’agit-il d’une bulle spéculative ?
Les nouvelles orientations prenant en compte le réchauffement climatique permettent de croire que le propriétaire forestier ne sera plus seulement rémunéré pour la production de bois mais aussi pour un nombre croissant de services rendus et notamment la séquestration du carbone, le développement de la biodiversité, la préservation de l’eau, la préservation des paysages, le plaisir de profiter d’un environnement ressourçant ...
Les nouvelles perspectives pour la forêt, le contexte environnemental et la faible valorisation du prix de la forêt française par rapport à l’étranger nous laissent penser qu’il s’agit d’un rattrapage mais pas d’une bulle spéculative !
C’est le bon moment pour vendre…