Quoi de neuf

à la campagne ?

L’appel pour la forêt

Plaidoyer pour une exploitation forestière accrue et raisonnée

illustration : Feuille de Paris de la Carte Cassini – Crédits : Département des cartes et plans de la BNF

Le réchauffement climatique, puis l’épidémie de covid-19, nous interrogent sur la place de l’homme vis-à-vis de son milieu. L’idée de l’Homme triomphant de la nature s’effrite : il n’est pas au-dessus, dans la maîtrise technique totale et absolue mais bien au sein d’un système avec lequel il interagit. Ce regain d’humilité repositionne l’homme par rapport à son milieu dans une relation proche de celle qu’ils ont entretenu avec les forêts pendant de nombreux siècles. Une relation qui a connu des évolutions, parfois même des déséquilibres et qu’il est bon d’interroger à nouveau.

 

Le juste milieu forestier

 

Dans les débats sur la forêt deux camps s’opposent aujourd’hui : « forestiers » contre « écologistes ». Les plus bruyants sont les partisans de l’abolition de l’intervention humaine en forêt. Ces derniers se réfèrent à l’âge d’or d’une forêt vierge auquel il nous faudrait revenir. Partisans d’un positivisme écologique, ils rejettent le rapport actuel perçu comme utilitariste – le cycle coupe / profit / plantation – sans considération pour le caractère respectueux de la relation de l’homme à sa forêt.

 

Si ce dernier y prélève – ou cultive – le matériau dont il a besoin pour la construction, l’énergie et plus tard l’industrie, il veille à préserver la ressource d’origine. Ils en viennent ce faisant à omettre délibérément ou par méconnaissance, deux points clefs : la forêt – la filière forêt-bois – est un élément essentiel de notre économie ; et deuxièmement les forestiers travaillent déjà dans le respect de leurs bois, avec passion. L’objectif pour 99% d’entre eux étant de transmettre une forêt en bonne santé.

 

Le bois, racine du développement

 

Le matériau bois est intrinsèquement lié au développement des civilisations humaines dans les régions où il se trouve en abondance. Dès la préhistoire il est utilisé pour produire le feu, puis des outils, des habitations (avec la terre crue ou cuite). La forêt est aussi un réservoir de biodiversité et un terrain de chasse pour l’homme et les besoins croissent tout au long des siècles à mesure que les populations augmentent.

 

La révolution industrielle marque une phase de croissance rapide importante, les besoins en matières premières dont le bois sont décuplés. Le boom du transport ferroviaire par exemple, crée une nouvelle demande pour les traverses des voies. La première ligne de chemin de fer ouverte en 1827 s’étendait sur 21 km. Un siècle plus tard, le réseau ferroviaire français comptait 42 700 km de voies. La période n’est cependant pas marquée exclusivement par une surexploitation de la ressource forestière. D’autres mécanismes, comme le développement de l’industrie houillère, contrebalancent l’augmentation des besoins en proposant des ressources alternatives moins onéreuses.

 

Aujourd’hui la forêt alimente une filière économique de premier ordre soutenant 378 000 équivalents temps-plein pour un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros. La richesse créée par la filière forêt-bois s’élève à 21 milliards d’euros et de nouveaux débouchés apparaissent avec les développements de la chimie verte qui trouve, notamment dans les déchets d’exploitation actuels, des molécules à forte valeur ajoutée pour la cosmétique, la santé, la nutraceutique et d’autres domaines encore.

 

La régénération de la forêt, une affaire politique

 

Difficile de compenser des prélèvements épars sur l’ensemble d’un territoire, il faudra attendre la monarchie absolue et son état centralisateur pour que Colbert, en précurseur des politiques publiques modernes, dans le plus pur esprit du mercantilisme économique, institue une politique de reboisement. Elle connaîtra de nombreuses itérations jusqu’à la création du Fonds forestier national, le FFN et encore aujourd’hui.

 

Grâce aux efforts des cartographes à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle nous disposons aujourd’hui de cartes permettant de déterminer les conséquences de l’exploitation forestière et des politiques de reboisement en termes de volume sur pied en France. La comparaison des cartes de Cassini, de la carte d’État-Major du XIXème et des cartes topographiques actuelles, permet d’établir que l’existence d’une forêt « primaire » en France, totalement intouchée par l’homme est illusoire. Sur les 17 millions d’hectares que compte la forêt aujourd’hui (une superficie qui croît d’année en année), seuls 7 500 hectares n’auraient pas connu d’intervention humaine depuis quelques 250 ans.

 

Trois conclusions s’imposent : la première concernant le volume conséquent des prélèvements réalisés en forêt tout au long des trois derniers siècles ; la seconde le succès des politiques de reboisement menées afin de régénérer la ressource forestière. La troisième, contrairement aux idées reçues, l’exploitation forestière est inférieure à la régénération des forêts, aussi bien en surface qu’en volume.

 

Un équilibre à retrouver entre homme et forêt

Le contexte actuel de changement climatique appelle une reconsidération de la forêt qui ne peut plus être uniquement une ressource pour la construction, l’énergie ou l’industrie. La forêt joue un rôle primordial dans le système climatique mais ce rôle n’est pas indépendant de l’action humaine. C’est pourquoi le véritable âge d’or de la forêt ne peut pas être celui d’une forêt virginale mais doit être celui d’une exploitation réfléchie et accrue. Il nous faut apprendre à « imiter la nature et hâter son œuvre ». La grande question que se posent les forestiers de notre siècle doit être celle du nouvel équilibre à trouver entre la fonction climatique et environnementale des forêts et son rôle économique tout en respectant et préservant son importance en matière de biodiversité, d’assainissement des eaux, de paysage. Deux pistes se dessinent pour moi :

 

  • - L’ensemble des acteurs de la filière doivent assumer la responsabilité d’une véritable campagne pédagogique auprès du grand public. Il ne suffit pas d’exprimer de l’agacement mais il faut réaliser les investissements nécessaires pour amener les citoyens à aller en forêt. Concrètement mettre fin à l’inertie concernant la réalisation de travaux de grande ampleur pour construire par exemple des lieux pouvant accueillir des classes en semaine ou des familles avec leurs enfants.
  • - L’autre direction qu’il nous faudra, nous forestiers, nécessairement accepter et faire accepter aux pouvoirs publics et au secteur économique c’est la monétisation des services environnementaux rendus par la forêt. La création du Label Bas Carbone en mesurant le volume de CO2 capté par des travaux forestiers va dans cette direction.

 

  • Cette voie doit être approfondie dans les années à venir afin que le public prenne conscience de la valeur de l’action des forêts pour l’atténuation du changement climatique.  Les forestiers qui réalisent les travaux nécessaires à l’optimisation des 3S (séquestration, stockage, substitution) devront aussi être rémunérés pour les efforts et les investissements consentis afin que ceux-ci puissent être renouvelés.