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Lettre ouverte d’un forestier

Le livre « La vie secrète des arbres » et le film qui s’en est suivi ont eu le mérite d’attirer l’attention sur les forêts auprès d’un public urbain et peu connaisseur du monde rural. Les « belles histoires » racontées par le forestier allemand Peter Wohlleben, mêlées à des considérations scientifiques ont fait un carton ! Mais dans cet ouvrage, l’homme est prié de se retirer de cet univers pour laisser la forêt évoluer « naturellement ». Je souhaite rappeler ici simplement que nous avons notre place au sein des forêts, pour garantir leur renouvellement et favoriser un écosystème vertueux qui mêle des considérations environnementales, économiques et sociétales.

 

"Imiter la nature et hâter son œuvre"

Une formule bien connue dans le monde forestier énoncée par Bernard Lorentz et Adolphe Parade au début du XIXeme qu’il me semble intéressant de redonner ici. Jean-Luc Peyron (enseignant chercheur des Eaux et Forêts) revient sur les débats autour de la gestion forestière dans les termes suivants : « S'il s'abstient d'intervenir, (l’homme) récuse en quelque sorte ses penchants naturels et son rôle propre au sein des écosystèmes. À l'inverse, certains voudraient le voir reconstituer un état naturel ; n'est-ce pas là le plus grand des paradoxes ? Affranchir la nature de l'homme ne me paraît pas possible parce que l'homme appartient aussi à la nature ». Je partage pleinement cette observation, car l’homme intervient en forêt non pas pour puiser et piller la ressource, mais pour en faire un atout et un pilier et service de la société.

 

Rappelons le contexte forestier français

En France il n’existe pas de forêt primaire. L’ensemble des espaces boisés qui recouvre 30 % de notre territoire est le résultat d’un programme de plantation orchestré par les forestiers. Dans les années 1960 ce mouvement de reboisement a connu une accélération importante, boosté par le « Fonds Forestier National » qui permettait un financement généreux de toutes les actions de reboisement. Ces plantations vivent au gré de la gestion sylvicole qui alterne entre des moments où il faut éclaircir les peuplements, récolter les arbres mûrs, et replanter. Nous ne sommes pas en France, victimes de déforestation, c’est même le phénomène inverse que nous connaissons : la forêt croît de 40 000 hectares par an. Notre forêt doit être gérée durablement pour assurer une régénération de ces espaces. En agriculture, personne ne s’émeut lorsque qu’une moissonneuse batteuse fauche un champ de blé. En forêt, dès qu’une parcelle forestière arrive à maturité, il est difficile de faire accepter la coupe. Et pourtant la démarche est la même, seule l’échelle temps diffère (et ce n’est pas anecdotique). Les arbres plantés aujourd’hui, seront récoltés d’ici deux ou trois générations puisque le cycle de l’arbre demande plusieurs dizaines voire centaines d’années avant d’arriver à maturité.

 

Economie et écologie ne sont pas des antonymes

La gestion de la forêt est liée à une réalité économique : quel intérêt de récolter des arbres, si ce n’est pas pour les valoriser ensuite pour la fabrication de nos maisons, meubles, palettes, emballages et avec les sous-produits forestiers, pour en faire de l’énergie et du papier ? Il existe en France toute une filière qui s’organise autour de la valorisation de cette ressource. Les activités générées par le bois et sa valorisation représentent 400 000 emplois. Autant de personnes qui contribuent directement et indirectement à la vitalité de nos forêts. Elaguer, éclaircir, récolter, replanter, telles sont les actions sylvicoles qui permettent à la forêt, de croître, de se régénérer et de capter du carbone.

Il nous semble plus urgent de limiter la consommation de plastique avant de supprimer celle du bois…

 

Alerte : ne laissons pas se creuser le fossé entre le monde rural et le monde urbain

J’invite tous les acteurs du monde rural : agriculteurs, forestiers, et toutes les professions qui les accompagnent (juristes, journalistes, communicants, comptables, etc) à raconter la réalité des campagnes françaises. Il faut le faire avec des mots justes, sans recourir à l’anthropomorphisme qui rend insupportable la vue d’un chantier forestier ou encore d’une exploitation agricole. N’oublions pas la place que tient l’homme au sein de cet écosystème et ne sous-estimons pas son intelligence ainsi que la raison qui l’anime pour pérenniser la ressource pour les générations à venir.

Pierre Aussedat

Forestier, expert en biens ruraux